Ils s’étaient assit sur le palier d’un immeuble, les pieds dans l’eau et les chaussures sagement rangées à leur côté. Ax regardait pensivement le liquide d’un noir profond, se demandant si le bruit qu’il entendait provenait vraiment d’une cascade. Pok, qui jusque là mangeait ce qu’il pensait être une barre de survie, finit par s’étirer en baillant et s’allongea sur le dos, posant ses yeux sur le ciel qu’il distinguait maintenant bien mieux.
-Dis, Ax, c’est encore loin ? Depuis des jours on a fait que monter des tas d’escaliers, il fait de plus en plus froid et le courant est devenu vraiment rapide.
-Mh.
Pok se redressa, pas tellement satisfait de la réponse, et fixa le profil de son compagnon l’air dubitatif.
-Uh, dis, t’es bizarre depuis qu’on a achevée la technophile. Qu’est ce qu’il y a ?
-Rien. Mais... L’ordinateur, il disait que c’était de notre faute. C’est peut être vraiment une punition divine.
-La flotte ?
-Oui. Ça n’a pas tout le temps été comme ça. Je veux dire, ces immeubles partout, des gens branchés à des ordinateurs, et l’eau noire. On a bien du faire quelque chose de mal. J’ai vu des dessins. Il y avait des choses vertes, et des choses comme des humains mais pas vraiment. Et on était beaucoup plus nombreux. Il y avait de l’eau aussi, mais bleue. Il a du se passer quelque chose.
Pok soupira et ramena ses pieds à la surface. Il entreprit de les sécher approximativement avec un bout de son pantalon et attrapa ses chaussures.
-Bah, on verra bien quand on y sera. On approche, non ? Et puis, de toute façon, si l’ordinateur à raison, il a bien dit que c’était trop tard. Alors ça sert à rien de te morfondre maintenant.
-Mh...
Ax n’était que très moyennement convaincu. Malgré tout, il remit ses chaussures sans prendre le temps de se sécher, et ils repartirent, au grand dam de Pok qui aurait de loin préféré rester là et dormir. Longtemps.
Ils étaient arrivés devant une immense cascade, comme il n’en avait encore jamais vu. Le plus étrange, c’est qu’elle se déversait n’ont pas d’un immeuble, comme c’était le cas habituellement, mais d’une grotte à l’ouverture étirée toute en longueur. Ses contours étaient lisses et nets, légèrement rosés. Rien qui ne semblait artificiel. Même le sol, plat et uni, ne ressemblait au rien au béton accidenté qu’ils parcouraient d’ordinaire.
Le chemin se poursuivait abruptement le long de la cascade, et semblait s’enfoncer dans la grotte en longeant le lit de la rivière. Ax et Pok le suivirent en silence, légèrement méfiants.
Devant la grotte, ils s’arrêtèrent. Pok la considérait d’un œil circonspect, n’osant pas s’avancer plus. Ax, accroupit à ses pieds, détaillait les parois et tripotait la pierre l’air préoccupé, ce qui finalement poussa Pok à faire de même.
A peine avait-il posé sa main contre la paroi qu’il la retira, la fixant comme si elle ne lui appartenait pas.
-Ax...
-Oui. C’est bizarre, hein ?
-C’est chaud.
-Et spongieux.
-C’est pas normal.
-Ce n’est pas de la roche.
-Eew.
Ax se releva, et fixant droit devant lui l’air décidé, il s’engouffra dans la grotte. Pok hésita avant de le suivre, mais finalement il lui répugnait plus de rester planté tout seul sur un genre de mollusque.
Il faisait très sombre à l’intérieur, ce qui les forçaient à avancer en s’appuyant sur la paroi, ce qui n’était pas très agréable.
-Ça pu. Ça sent le renfermé et l’haleine fétide.
Ax ne pouvait pas dire le contraire, mais il ignora la remarque et continua d’avancer en silence, avant de s’arrêter brusquement. Pok s’emplafonna violemment dans son dos et tout deux rentrèrent dans la paroi qui se dressait comme un mur devant eux.
-Ah, qu’est ce qui te prend ?
-Le chemin s’arrête ici, on ne peut pas aller plus loin.
Ax se décolla de la paroi en se tenant le front. Pok attendit sagement une remarque, mais rien ne vint. Ax semblait être en pleine réflexion, puis il retourna se coller sur la paroi.
-Euh...
-Chut.
Pok attendit la fin de son manège en s’asseyant par terre.
-Ça pulse.
-Uh ?
-Les murs, on dirait qu’ils pulsent.
-Ah.
Ax s’assit près de lui. Il réfléchissait. Ici, le courant s’était ralenti, et semblait émerger des profondeurs de la grotte.
-C’est tout alors ? Ça ne mène nulle part ? On a fait tout ça pour rien ?
Ax se releva d’un bond, enleva la sacoche qu’il portait à sa ceinture et la tendit à Pok qui la prit sans comprendre.
-Je vais aller voir.
-Dans l’eau ?
-Oui. On dirait que le courant vient du font. Il doit y avoir un tunnel ou quelque chose.
Pok le fixa d’un air dubitatif.
-C’est du suicide.
-Le courant n’est pas très rapide, ici.
-Tu trouve ?
Ax haussa les épaules et s’approcha du bord, sans même enlever ses chaussures.
-Si tu remonte pas, compte pas sur moi pour aller te chercher.
-J'allais pas te le demander.
Ax sauta. Et Pok se mit à attendre, tripotant nerveusement la sacoche presque vide.
Au bout d’un moment, lorsque Pok commençait à se résigner à l’idée de faire son deuil, la surface de l’eau se rida et Ax émergea, prenant une grande inspiration. Il nagea tant bien que mal jusqu’au bord et Pok l’aida à se hisser sur la berge.
-Alors ?
Ax tenta vaguement de reprendre son souffle avant de répondre, affalé sur le sol.
-L’eau est noire, j’ai rien vu.
-Vraiment ? C’est étonnant.
Ax lui lança un regard noir auquel Pok répondit par un rictus.
-En tâtonnant, j’ai sentis quelque chose. Il y a comme une grande brèche. Mais c’est pas possible d’y entrer. Elle est pas assez large, et c’est trop dur, le courant repousse. Mais de toute façon, je crois que ça ne mène nulle part. C’est comme une grande plaie dans le sol. Et l’eau vient de là. Mais il doit y avoir d’autre endroits comme celui-là un peu partout.
Ax fixait l’eau tout en parlant. Il se parlait plus à lui-même qu’à Pok, comme si le fait de faire un compte-rendu de ce qu’il avait senti lui permettait de faire le lien entre les différents hypothèses qu’il avait échafaudé jusqu’alors quant à l’origine de l’eau.
-Les bords sont bizarres. Il sont chauds comme le reste, mais ils collent, enfin, c’est une drôle d’impression. Et l’eau, je crois qu’elle provient de l’intérieur de la roche. Comme si elle suintait.
-Eew, ben, ça suinte ici aussi.
Pendant qu’il parlait, Pok s’était mit à dessiner des formes sur le sol avec un petit couteau sorti de la sacoche d’Ax. Des formes qu’il avait tracées sortait une eau épaisse et noire. Pok la considérait l’air vaguement dégoûté.
Ax sembla réfléchir, puis il lui arracha le couteau des mains et le planta de toute ses forces dans le sol. De l’eau en jaillit immédiatement, et Pok se recula par réflexe.
-Qu’est ce qui te prend ?
-C’est bizarre, non ?
-Certes. Enfin, la roche peut être constituée d’eau.
-Tu crois vraiment à ce que tu dis ? Elle a mis du temps à sortir quand tu ne grattais qu’en surface. Comme quand tu te fais une éraflure. Ça ne saigne pas tout de suite.
-T'es en train de me dire que cette eau est comme du sang ?
-Plus ou moins. Elle en a même le goût métallique, en tout cas. C’est pour ça qu’on la filtre avant de la boire.
Ax et Pok se regardèrent en silence. La même idée venait de les frapper tout les deux. Pok retira prudemment le couteau du sol, et l’eau s’écoula en petite rigoles éparses. Il ramena lentement ses jambes sous son menton et posa sa tête dessus.
-Donc... la genre de brèche au fond, ce serait vraiment une plaie... et la roche est chaude et molle parce qu’elle est vraiment vivante... Ou un truc comme ça.
Ax approuva en silence.
-Et si on en croit ce qu’a dit l’ordinateur, les responsables de tout ça, se serait nous. Enfin, les nous d’avant nous. Je sais pas ce qu’on a fait. Trop d’immeubles ? Mais en tout cas, il est trop tard. Parce que... parce que la chose sur laquelle on vit, c’est un genre de carcasse agonisante qui se vide de son sang. J'ai raison ?
Ax se releva brusquement, ramassant sa sacoche près de Pok, qui étira ses jambes devant lui en soupirant.
-C’est joyeux, tout ça. Qu’est ce qu’on fait, maintenant ?
-Je ne sais pas. Rien. Tu as lu comme moi, c’est trop tard. Je n’ai pas de recette magique pour guérir une planète organique de plusieurs milliers de kilomètres de circonférence. On ne sait même pas exactement ce qui s’est passé. Même si c’est facile à deviner.
-Alors on ne fait rien.
-Qu’est ce que tu veux qu’on fasse ? De toute façon, plus personne ne fabrique rien depuis longtemps. On se partage entre des technophiles, des fanatiques religieux, et des gens comme nous qui essaient de survivre comme ils le peuvent. Les immeubles et les machines sont bien plus nombreux que nous. Il y en a tellement qu’on aperçoit à peine le ciel.
Pok se releva en s’époussetant les genoux, et suivit Ax qui se dirigeait déjà vers la sortie.
-Alors on la laisse mourir ?
Ax haussa les épaules.
-Bah, c’est ce qu’on fait depuis toujours. Même si on faisait quelque chose maintenant, ça ne ferait pas de différence. Tu as vraiment l’impression d'être sur une planète vivante ?
Pok hésita un instant, et jeta un coup d’œil à la paroi qu’il longeait comme pour s’excuser d’avance.
-Non, pas vraiment.
Et ils sortirent à l’air libre.
Il y avait toujours ces immeubles qui s’étendaient à perte de vue. D’en bas, on ne pouvait toujours pas voir le ciel. Même s’il n’y avait plus personne pour les ériger, ni plus personne pour les habiter, et même s’ils avaient perdu leur utilité, il continuaient d’exister, pour des fantômes.
THE END OH YEAH